Un vaste débat porte sur la durée et l’étendue réelle du stress causé par un incident grave et du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Cette section fera un tour d’horizon pour aider les lecteurs à évaluer les techniques d’intervention appropriées. Cela dit, personne ne remet en question l’impact des victimes sur le site d’une catastrophe. De nombreux intervenants critiquent le caractère importun et exigeant des médias. Or, il faut savoir que les victimes sont encore plus exigeantes qu’eux. Les blessés auront besoin de soins médicaux. Il faudra faire un triage, et il sera urgent de déplacer les morts vers une morgue temporaire. Ce processus exige des compétences spéciales et des intervenants supplémentaires.
Les blessures physiques sont plus évidentes que les blessures psychologiques, mais les blessures invisibles sont tout aussi profondes et exigent la même attention. Tandis que l’état d’un bras cassé peut s’améliorer en quelques semaines, les dommages psychologiques des victimes peuvent, eux, empirer quelques semaines après le traumatisme initial.
Certaines victimes de catastrophes rapportent que le TSPT « n’est pas une maladie dont on récupère avec le temps. » Cependant, compte tenu de leurs ressources limitées, les intervenants, les tribunaux, les responsables de la réglementation et autres peuvent se demander si nous risquons de réagir de manière disproportionnée au stress post-traumatique lié aux catastrophes. Si les intervenants réagissent avec excès au TSPT, ils peuvent ainsi détourner beaucoup de ressources nécessaires à d’autres importantes mesures d’atténuation.
Les gens s’attendent à ce qu’on ait les moyens et qu’on s’occupe d’un plus large éventail de victimes de catastrophes :
[…] une intervention efficace en cas de catastrophe prend non seulement en compte les besoins de ceux qui sont directement touchés (les victimes), mais aussi les besoins de ceux qui sont indirectement touchés (la famille des victimes, leurs amis et leurs connaissances, de même que leurs carrières).
[…] Il est aujourd’hui inacceptable de juger l’efficacité d’une intervention uniquement sur le fait que les auteurs d’un crime ont bel et bien été capturés, que la négligence professionnelle a été prouvée ou non, ou encore à quelle rapidité le « service normal » a été restauré. L’évaluation globale et holistique d’une catastrophe doit également tenir compte du traitement humain, attentionné et impartial réservé à ceux qui sont indirectement touchés ».
Les victimes ne sont pas seulement les personnes qui ont été touchées au moment de la catastrophe, mais aussi (potentiellement) celles qui en souffrent plus tard. Les personnes qui développent un TSPT sont non seulement celles qui ont perdu leurs proches, mais aussi celles qui ont été témoins de la souffrance ou de la mort d’autres personnes, ou simplement qui ont craint pour leur propre bien-être.
Mais où est-ce que la victimisation s’arrête-t-elle logiquement? Y a-t-il un certain point à partir duquel une personne ne peut pas être considérée comme une victime d’un événement passé? Toutes les victimes portent-elles le même fardeau après le même traumatisme et devraient-elles être traitées de la même façon? Y a-t-il une distance familiale ou affective par rapport aux personnes tuées ou blessées à laquelle une personne n’est pas susceptible d’être touchée, ou au moins pas de façon aussi marquée, si elle est témoin de l’événement? Les rapports de seconde main à la radio, à la télévision, par le bouche à oreille et dans les journaux atténuent-ils l’impact d’un événement?
Les quatre mots « trouble de stress post-traumatique » désignent un trouble ou un ensemble de symptômes qui affecte les gens après un événement traumatisant et qui est associé au stress engendré par cet événement. Mais quels types de troubles entrent dans la définition clinique du TSPT? Quelle intensité de stress et quel type de traumatisme peuvent favoriser la manifestation du TSPT? Les niveaux et types de stress qui le causent peuvent différer pour différentes personnes, ce qui signifie que différents types de troubles peuvent être compris dans cette définition. Le TSPT est-il propre à la vie moderne ou a-t-il toujours existé?
Après avoir regardé des reportages sur les anciens combattants et les intervenants aux prises avec le TSPT, on serait tenté de conclure que le trouble n’est pas un phénomène nouveau ni plus prononcé qu’auparavant. Les bulletins de nouvelles et les sites Internet rapportent les efforts de certains anciens combattants ayant fait la guerre pour obtenir la reconnaissance de ce qu’ils disent être le TSPT. Certains sites semblent promouvoir le TSPT et recruter de nouvelles « victimes », apparemment dans l’espoir d’obtenir de meilleurs règlements.
Mais la réalité, c’est que ce trouble, ou des versions de celui-ci, fait partie de la vie depuis longtemps. Le TSPT peut résulter d’un large éventail de catastrophes et de traumatismes et peut affliger de nombreux types de victimes :
[…] une compréhension plus claire des traumatismes a commencé à se développer après qu’on ait observé des soldats de la Première Guerre mondiale (Salmon, 1919) et des survivants des camps de concentration (Chodoff, 1963). On admet aujourd’hui que la guerre et les conflits peuvent toucher aussi bien les civils que les militaires (Lewis, 1942), et que les catastrophes naturelles (Freedy et coll., 1993), les défaillances techniques (VandenBos et Bryant, 1987), les crimes violents comme les agressions sexuelles et physiques (Kilpatrick et coll., 1989), la torture (Basoglu, 1992), les blessures accidentelles (Scotti et coll., 1995) et le statut de réfugié (Eisenbruch, 1991) peuvent aussi mener au développement des symptômes du TSPT.
De l’étude d’Hiroshima, dix-sept ans après que la bombe nucléaire ait été larguée à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Lifton a documenté cinq caractéristiques présentes chez les survivants. La meilleure manière de définir le TSPT, c’est de prendre en considération les symptômes. Il mentionne les « images indélébiles de la rencontre avec la mort […] le sentiment de culpabilité […] l’incrédulité […] la suspicion envers les offres d’aide [et] la recherche d’un sens à l’expérience. » L’American Psychological Association a essayé de fournir des critères d’identification et de séparer le TSPT d’autres troubles, comme le trouble de stress aigu. Ces critères postulent que la personne « a vécu, a été témoin ou a été confrontée à […] la réalité ou à la menace de mort ou à des blessures graves […] envers elle-même ou d’autres personnes. » Les symptômes comprennent la «peur, l’impuissance […] l’horreur […] des épisodes de retour en arrière […] l’évitement des stimuli associés au traumatisme […] la colère […] la difficulté de concentration […] l’hypervigilance […] les sursauts exagérés et les troubles du sommeil. »
L’American Psychological Association pose deux limites importantes à sa définition. Premièrement, il faut que les symptômes persistent pendant « plus d’un mois ». Deuxièmement, le patient doit souffrir d’une « détresse considérable sur le plan clinique ou d’une déficience sur le plan social, professionnel ou d’autres aspects de fonctionnement importants ». Par exemple, le père qui a perdu sa fille dans l’écrasement de Lockerbie rapporte avoir dû quitter son emploi et s’être senti « dépourvu de volonté pour affronter les tracas ou même pour prendre de petites décisions ».
Les tribunaux reconnaissent le TSPT, mais imposent des limites à ceux qu’ils croient être qualifiés pour recevoir des dommages-intérêts. Il existe de nombreux cas où on a accordé des dommages-intérêts aux survivants pour le préjudice psychologique, mais des parents de victimes ont rarement, sinon jamais réussi à obtenir des dommages-intérêts en raison du TSPT invoqué après qu’ils aient regardé les rapports d’événements à la télévision. Certaines demandes proviennent de personnes qui sont très éloignées de la catastrophe en question. En 1966, dans la ville galloise d’Aberfan, une école et des maisons ont été détruites par le glissement d’un tas de débris provenant d’une chaîne d’extraction. Vingt-huit adultes et 116 enfants ont été tués. Une femme témoin de l’incident a affirmé qu’elle a souffert d’une dépression nerveuse 12 ans après l’événement, et que c’est un article de journal lié à une autre tragédie qui en avait été l’élément déclencheur. Les tribunaux ont réservé leur jugement.
Le point majeur des procès à la cour est la question de la proximité psychologique, temporelle et spatiale. Ceux qui réclament des dommages intérêts doivent prouver qu’ils sont étroitement liés aux victimes et ils doivent avoir été près de la catastrophe. Ils doivent également montrer les dommages subis. La Chambre des Lords britannique a déclaré que les demandes peuvent être faites par ceux qui sont impliqués dans des catastrophes si :
Les tribunaux ont en outre décidé que « la peur elle-même ne peut donner lieu à des dommages-intérêts; seules la douleur et la souffrance le peuvent. » Mais, d’autres tribunaux dans d’autres juridictions ont considéré différents points de vue et les gestionnaires de crise devraient savoir comment les événements seront considérés dans leur État.
Les gestionnaires de crise doivent traiter le TSPT comme ils le feraient pour tout autre dommage ou préjudice. Si une organisation est responsable de dommages aux biens, elle doit en faire la restitution. Si cette organisation est reconnue responsable de blessures physiques, les tribunaux accordent souvent une indemnisation aux victimes. La même logique s’applique quand il est question du TSPT. Sans s’immiscer, les professionnels de la santé mentale devraient faire partie d’une intervention adéquate en cas de catastrophe. Le soutien peut se manifester par de l’information, de l’empathie, un accès au site de l’événement, de l’aide et des conseils juridiques, si nécessaires.
Les symptômes physiques du TSPT impliquent des quantités plus mesurables de noradrénaline et de cortisol dans l’organisme des victimes concernées. Des études sur l’exposition à des chocs chez les animaux montrent « la déplétion de certains neurotransmetteurs (par ex. la dopamine) qui produit des symptômes similaires au TSPT [et] un état analgésique provoqué par la libération des opiacés endogènes qui peuvent devenir toxicomanogènes de sorte que, lorsque l’agent stressant des opiacés est retiré, les symptômes de sevrage (anxiété, réflexe de sursaut et hypervigilance) surviennent. » En d’autres termes, le cerveau de la victime cherche la sensation physique qui est provoquée par le réflexe de sursaut, déclenche régulièrement ce dernier, puis en subit les effets négatifs.
L’effet sur le comportement peut également être prononcé. Les victimes peuvent modifier leur routine pour éviter les rappels au traumatisme passé. « Les caissiers d’une banque impliqués dans des vols à main armée évitent souvent d’occuper des emplois demandant d’être en contact étroit avec le public et de nombreuses femmes victimes de viol évitent par la suite de se retrouver seules avec un homme. » Certains se détachent et certains se sentent coupables de profiter des plaisirs de la vie. Il semble légitime de pécher par excès de soutien. Ainsi, certains chercheurs conseillent que le traitement soit accessible à pratiquement tous ceux qui sont visés par un traumatisme.
Il est facile de voir avec quelle rapidité des populations entières pourraient être diagnostiquées comme étant victimes du TSPT. Selon certaines définitions, une victime potentielle est pratiquement n’importe qui dans n’importe quel lieu qui subit une grande variété d’événements avec n’importe quel niveau d’intensité ou degré de proximité.
Toutefois, même si les universitaires, les tribunaux, des professionnels de la santé mentale ou autres conviennent que le TSPT existe, cela ne signifie pas que sa source est facile à identifier ou qu’il est facile à diagnostiquer ou à prévenir. Prouver l’existence et la source du trouble peut s’avérer plus ardu que d’en faire autant pour les douleurs au dos, si communes dans l’industrie. Un travailleur peut chercher à obtenir une indemnisation ou un congé et mettre la faute sur l’aspect physique de son travail, alors que la cause réelle pourrait être ses activités récréatives ou la génétique. On peut aussi contester le degré d’inaptitude du travailleur. D’ailleurs, certains cas de TSPT sont tout aussi discutables.
Le stress a toujours existé. Nos ancêtres ont souffert du stress lié à la quête de nourriture et d’abri. Chasser des animaux ou être traqués causaient du stress. Les catastrophes ont toujours existé et l’humanité a toujours été exposée aux catastrophes naturelles, ce que les anciens appelaient souvent des « faits de Dieu » (ou des dieux). Outre les menaces de la société préindustrielle (la peste, la famine, les catastrophes naturelles et les guerres), il y avait aussi la magie, les dieux et les démons. Cela dit, nos ancêtres semblent avoir su affronter ce stress sans thérapie.
Comme c’est peut-être le cas avec le dos blessé du travailleur, il y a un certain stress « de fond », une peur et un traumatisme dont nous souffrons tous dans notre vie quotidienne. Le dilemme pour les tribunaux, les intervenants et autres, c’est de savoir si les symptômes en preuve découlent de la catastrophe ou du stress de fond général dans la vie de la personne. La catastrophe ou le traumatisme sont-ils la cause principale du trouble de stress ou font-ils simplement partie d’une série d’événements de la vie, dont l’effet cumulatif est un trouble de stress? Les symptômes d’un trouble de stress découlent-ils de causes inconnues ou diverses ou, plus précisément, du trouble de stress post-traumatique? Si le TSPT est réel, alors, quel traumatisme en était la cause principale?
Il est difficile d’évaluer le nombre de victimes. L’étude de Lewis Aptekar sur les tremblements de terre a montré un faible taux de déclaration de TSPT chez les victimes.
Aptekar a vérifié les anciennes conclusions de Smith, à savoir que « moins de 25 pour cent des victimes d’une catastrophe ont vécu un stress post-
traumatique au cours de l’année suivant la catastrophe. » Alors que Vaughan J. Carr et coll. ont trouvé des niveaux plus élevés de TSPT, ces
niveaux semblaient baisser fortement au fur et à mesure que le temps passait après l’événement.
De nombreuses victimes de catastrophe ne veulent pas ou n’ont pas besoin de participer à une thérapie de groupe. Une étude auprès de préposés aux appels de lignes d’assistance après un séisme a montré que la plupart veulent seulement savoir s’ils font les choses correctement. De nos jours, les victimes peuvent être plus enclines à s’identifier elles-mêmes comme des victimes qu’à l’époque où cette recherche a été effectuée. Mais vous constaterez peut-être que la grande majorité des victimes assistent à une seule séance de counseling, et que seulement 15 pour cent d’entre elles cherchent ou ont besoin d’aide supplémentaire.
Qui sont susceptibles de présenter des symptômes? Les victimes elles mêmes semblent représenter un facteur important pour découvrir si le
TSPT existe ou perdure. Karen Anderson a suggéré une corrélation entre les sexes, et Aptekar a spéculé qu’un large éventail de variables démographiques entrent en jeu. Les descriptions de poste jouent un rôle. En effet, ceux qui s’attendent à vivre du stress dans le cadre de leur travail peuvent ne pas être aussi durement touchés que les personnes qui ne s’y attendent pas.58 Les gens peuvent être plus touchées par leur point de vue préexistant sur un événement que par l’événement lui-même. La cause de la catastrophe peut entrer en ligne de compte pour déterminer la probabilité que le TSPT survienne. Aptekar a examiné plusieurs facteurs dans les catastrophes, y compris « une attaque imprévisible (tremblement de terre) versus une attaque connue (ouragan) et […] la durée indétermi née (tremblement de terre) versus […] la durée limitée (ouragan). »
Au-delà des limites légales, les professionnels en santé mentale ont imposé des limites à la définition de ce qu’est une victime et de ce qui cause le TSPT. Une déficience « significative » doit se produire dans les « aspects de fonctionnement importants. » Ce ne sont pas tous les événements qui causent le TSPT et les gens n’y sont pas prédisposés de la même manière. Ainsi, la plupart des symptômes des victimes diminuent avec le temps et les traitements varient selon la cause, le type de symptômes et l’individu. L’emploi qu’occupe une personne peut réduire la probabilité de contracter le trouble, surtout si elle s’attend à rencontrer un traumatisme en sa qualité de secouriste d’urgence. Les agents médiateurs tels que les médias, de même que la distance temporelle, spatiale et affective, peuvent réduire l’incidence du TSPT ou, dans la plupart des cas, éliminer cette incidence. Les avis divergent également quant au fait de savoir si chaque catastrophe – « naturelle », technologique ou autre provoque les mêmes niveaux de TSPT.
Le seul fait qu’il y ait de sérieuses limites quant à la prévalence du TSPT ne signifie pas que les intervenants ne devraient fournir aucun service de soutien à moins que des symptômes aigus ou prolongés persistent. Les intervenants devraient être sensibles aux multiples réactions engendrées par les traumatismes. Les effets peuvent se présenter plus tôt ou plus tard, selon que les personnes se trouvaient à proximité ou loin de la scène. Les effets peuvent découler uniquement du traumatisme ou le traumatisme peut être un élément déclencheur qui provoque une réaction reliée à plusieurs expériences antérieures de vie. Montrer de l’empathie, de l’ouverture et de la souplesse peut être la meilleure approche à adopter.
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